Nice-Matin consacre un dossier de 4 pages sur la proposition de loi « controversée » visant à réformer l'adoption.
En effet, celle-ci risque de bouleverser l'architecture de l'adoption y compris ce qui fonctionnait bien jusqu'ici, sans aucune justification ni concertation.
Questions à Michèle TABAROT, Député des Alpes-Maritimes
Par Mathilde Tranoy, Journaliste à Nice-Matin
Aujourd’hui quelles sont les principales problématiques rencontrées par les personnes seules ou en couple qui souhaitent adopter un enfant ?
Michèle Tabarot : Le parcours des candidats à l’adoption est de plus en plus compliqué. En dehors des adoptions intrafamiliales, il y a de moins en moins d’enfants adoptés. A l’international, le nombre d’adoptions par des Français est passé de 3 500 en 2010 à moins de 500 en 2019. Les pays donnent désormais la priorité aux adoptions nationales. En France, il y a environ 3 000 pupilles de l’État dont 600 à 700 sont adoptés chaque année. Les autres ont des besoins spécifiques, soit parce qu’ils sont malades, âgés ou membres de fratries, et sont placés en établissements ou en familles d’accueil. Nous avons ainsi 11 000 agréments en cours de validité dont une grande partie ne se conclura malheureusement pas par une adoption.
Le 4 décembre, vous avez voté contre la proposition de loi visant à réformer l’adoption. Pourquoi ?
MTa. : Parce que plusieurs dispositions de ce texte ne correspondent pas à ma vision des choses. L’adoption doit être tournée vers l’intérêt supérieur de l’enfant. Il n’y a pas de raison de remettre en cause certains dispositifs qui fonctionnent bien aujourd’hui ? Je ne m’explique pas pourquoi on veut interdire à des grands parents le droit à l’adoption simple de leurs petits-enfants lorsqu’ils ont les ont élevés. Nous connaissons tous ces situations où ce sont les grands-parents qui compensent avec beaucoup d’amour et de courage la défaillance des parents. De même, pourquoi veut-on interdire aux Organismes Autorisés pour l’Adoption le droit de recueillir des enfants en France ? Elles assument ce rôle depuis 1945 et même si aujourd’hui cette mission est limitée, c’est une porte ouverte à des parents qui veulent confier leur enfant à une institution mais ne veulent pas se tourner vers l’ASE pour des raisons personnelles.
Dans le domaine de l'adoption comme ailleurs, l'intérêt de l'enfant doit rester la priorité ! |
Certains amendements que vous avez déposés ont été adoptés ? Lesquels ?
MTa. : J’ai en effet porté plusieurs amendements sur ce texte pour tenter de l’améliorer. Deux d’entre-deux ont été satisfaits. Avec le premier, les agréments pourront continuer à être délivrés pour l’adoption d’un ou de plusieurs enfants simultanément. La proposition de loi allait supprimer cette faculté qui est pourtant essentielle pour permettre l’adoption de fratries et ne pas séparer les frères et sœurs. Le second amendement fait que la situation des enfants placés de moins de 3 ans sera examinée au moins deux fois par an au lieu d’une seule, afin de voir quel est le meilleur projet de vie pour eux.
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Chaque année, 300 000 enfants, c’est-à-dire un enfant sur cinq en France, font l’objet d’une prestation ou d’une mesure de protection de l’enfance. Parmi-eux certains souffrent d’un délaissement parental et il faut avoir le courage de les rendre adoptables pour leur donner la chance d’un nouveau départ. Leur situation doit donc être examinée régulièrement. C’est encore plus le cas lorsqu’il s’agit d’un très jeune enfant parce que beaucoup se joue dans les premières années de la vie.
Cette proposition de loi fait l’objet d’une procédure accélérée. Pour quels motifs selon vous ?
MTa. : Je ne comprends pas cette décision. Elle nous prive d’un vrai débat de fond. La proposition de loi initiale posait de nombreux problèmes et ses dispositions les plus importantes ont dû être réécrites dans la précipitation en commission puis en séance. On ne peut pas improviser une réforme aussi importante et refuser de prendre le temps d’en parler alors que ses enjeux sont majeurs. En réalité, c’est le gouvernement qui est à la manœuvre. Il aurait dû déposer lui-même un projet de loi qui aurait alors dû être accompagné d’une étude d’impact, de l’avis du Conseil d’État et de l’avis du Conseil Supérieur de l’adoption que j’ai eu l’honneur de présider. Nous aurions alors eu un texte bien plus abouti et bien plus consensuel.
Vous êtes à l’origine de la précédente réforme de l’adoption en 2005. Quelles avancées aviez-vous permises ?
MTa. : Cette réforme, que j’ai portée avec mon collègue Yves Nicolin, a notamment permis la création de l’Agence Française de l’Adoption qui visait à renforcer l’information et l’accompagnement des candidats à l’adoption dans leurs démarches à l’étranger.Cela répondait à un véritable besoin car trop de parents s’engageaient dans des démarches individuelles risquées. Notre loi a aussi permis d’engager une réforme de l’agrément, avec une harmonisation des pratiques dans tous les départements, ainsi que le doublement de la prime d’adoption ou encore le renforcement du suivi des enfants après l’adoption… Nous étions guidés par la volonté de penser d’abord à l’intérêt de l’enfant ce qui doit rester la priorité de toute réforme de l’adoption.