Réélue Députée de la Neuvième circonscription des Alpes-Maritimes en juin dernier, Michèle TABAROT aborde ce cinquième mandat de parlementaire avec la même passion que ces vingt dernières années.
Quand on vous dit : 20 ans de députation, quel sentiment vous vient en premier ?
La fierté d'une séquence de vie bien remplie, avec beaucoup de sujets, dossiers et rencontres. La chose publique, c'est quelque chose qu'on a en soi. La politique peut être un milieu où on ne souhaite pas entrer mais c'est aussi des histoires personnelles et communes, des rencontres, des campagnes électorales... Ça remplit et ça anime. Si on n'a pas cette passion, alors toutes ces choses ne sont que des contraintes car ça prend du temps sur la vie personnelle.
En 2002, vous découvrez l'Assemblée…
Je me revois arriver avec mes collègues. Ce qui m'a surpris, c'est la taille de l'hémicycle. On a l'impression à la télévision que c'est immense mais en réalité c'est plutôt resserré. C'est un moment d'émotion car c'est un symbole fort de la République. C'est toujours important pour moi aujourd'hui. On ne peut pas être blasé de cela. Lorsque j'ai été élue la première fois, il y avait des personnalités emblématiques. Il y en a un peu moins aujourd'hui.
Un(e) bon(ne) Député(e) pour vous, qu’est-ce que c’est ?
C’est quelqu’un qui a les pieds dans les deux territoires, sa circonscription et l’Assemblée, en trouvant le juste équilibre. C’est aussi prouver son utilité pour soutenir les dossiers en allant voir les préfets, les collectivités et même en poussant la porte des ministères. Il faut savoir trouver la complémentarité entre les actions locales et nationales.
Vous avez été critiqués pour votre manque de présence à l’Assemblée…
Oui, des adversaires m’ont reproché une présence au Cannet. Pour moi, c’est une présence dans la circonscription et c’est essentiel. Je pense que l’Assemblée nationale a beaucoup perdu avec le non-cumul des mandats. Les députés-maires sont le parfait exemple de cette complémentarité.
La loi contre le cumul des mandats, mauvaise idée ?
Oui même si je reconnais qu’il y a eu des excès avec des personnes qui multipliaient les casquettes.
Un mandat local et un mandat national, c’est nécessaire.
Cette dernière campagne législative a été un peu particulière ?
Oui quand on voit le score des présidentielles dans la circonscription, ça fait réfléchir [rires]. Dans ma vie politique, personne ne m’a mis le pied à l’étrier en me confiant un héritage, je suis habituée au combat électoral. Cette fois encore je savais que ce serait compliqué mais je ne me voyais pas renoncer.
Avez-vous douté ?
Je doute toujours ! Je pense que c’est ce qui m’a permis de durer en politique. Je ne suis jamais satisfaite, même plutôt exigeante envers moi-même. Certains pensent déjà à ce qu’ils vont faire au lendemain de l’élection, avant même l’échéance. Je ne suis pas comme ça, je suis superstitieuse. Je pensais que ça allait bien se passer mais tant que ce n’était pas fait, je ne voulais pas me projeter.
Personne ne m'a mis le pied à l'étrier en me confiant un héritage, je suis habituée au combat électoral. |
On vous a aussi critiqué sur le fait que vous vous substituiez au maire du Cannet, Yves PIGRENET. Quelle est votre position ?
Je suis élue au conseil municipal et présidente de la majorité. J’ai aussi beaucoup d’années de maire derrière moi. Nous travaillons en équipe avec Yves PIGRENET mais aussi avec le Conseiller départemental Didier CARRÉTERO [NDLR : également adjoint au maire du Cannet], ainsi que le Sénateur Philippe TABAROT. Cette façon de travailler ne pose pas de problème à Yves PIGRENET et à moi. Nous formons un binôme depuis 1995, alors même que les rôles étaient inversés à cette époque.
Toutes les campagnes se ressemblent ?
Non, les participants changent forcément les choses. En 1997, il y avait une mauvaise ambiance dans l’équipe, beaucoup de tensions. La campagne législative s’est soldée par un échec à quelques centaines de voix près et j’en ai tiré les leçons. Ce n’est pas ça qui fait gagner une élection mais on appréhende la campagne différemment.
Sur la dernière élection législative, il y a eu environ 1.500 candidats de moins qu’en 2017 (6.293 contre 7.882), y a-t-il une crise de la vocation chez les députés ?
Oui je le pense. C’est une fonction exigeante qui pèse sur la vie personnelle. Elle est regardée avec beaucoup de critiques que je trouve très injuste. Avec ce type d’exposition, on se prive de gens qui pourraient apporter beaucoup à la République. Le non-cumul a fait s’arrêter beaucoup de parlementaires et d’autres préfèrent se diriger vers le privé qui comporte moins de contraintes. Il ne faut pas que la classe politique se prive de talents.
L’Assemblée nationale a un visage multi-facettes aujourd’hui. Ça vous fait peur ?
La démocratie s’est exprimée. Je regrette l’arrivée un peu débraillée des Insoumis. Ils sont dans la provocation. Nous sommes en présence d’huissiers qui sont habillés, qui font des efforts pour nous accueillir et qui sont assez surpris de voir certaines choses. Quand j’ai commencé, il y avait des codes à l’Assemblée. C’est pas mal de garder quelques règles. Sur l’ambiance, difficile de dire ce que ça va être dans les années à venir. Nous verrons si chacun arrive à se respecter. Je déteste les effets de manche pendant les questions au gouvernement. On peut dire des choses fortes et déterminées tout en étant correct dans l’attitude.
Vous démarrez votre cinquième mandat. Vous vous êtes fixé une date limite ?
Non, ça se fera selon mon envie. Le jour où je n’aurais plus cette ferveur, je m’arrêterai. La vie politique demande de la disponibilité, pas seulement par rapport à son agenda. Si je suis sur une manifestation, j’aime rester pour prendre le temps de parler avec les gens. Tant que ce lien est positif, comme je le vis aujourd’hui, et que j’ai le sentiment de faire avancer les dossiers, je poursuivrai. J’ai encore du carburant. Et puis je ne suis pas encore à l’âge de la retraite ! Quand on voit ce qu’on nous prépare, j’ai encore de belles années devant moi [rires].
Repères |
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Vous étiez dans l’équipe de campagne de Valérie PÉCRESSE durant la présidentielle, comment avez-vous vécu cette période ?
Ce n’était pas la candidate de mon choix au départ. Dès le moment où elle a été choisie, j’ai tout mis en œuvre pour l’aider au maximum. Je suis d’abord une militante, j’ai adhéré au parti avant de faire de la politique. Je pense qu’elle a souffert du calendrier. Elle a été choisie tardivement, ce qui a retardé le début de sa campagne. Valérie PÉCRESSE a joué la carte du rassemblement avec les concurrents, contrairement à François FILLON qui les avait écartés en 2017. Elle a aussi souffert d’une image “déconnectée” des Français alors qu’elle est très appréciée en région Île de France pour ses compétences de terrain. Le résultat est ce qu’il est et je le trouve très sévère.
Elle a également souffert du manque de soutien…
Pas au début. C’est quand tout a commencé à se fragiliser que le manque de soutien s’est fait sentir. Elle reconnaît elle-même qu’elle sortait de l’élection régionale, qu’elle est entrée dans la primaire puis la présidentielle sans avoir forcément eu le temps de se poser pour préparer cette campagne. Le calendrier n’était pas le meilleur. À cela s’ajoutent la guerre et le fait que le président ne voulait pas débattre. C’était un peu frustrant.
Le soutien de Nicolas Sarkozy n’est jamais venu…
Il a eu une position très décevante. Il est une figure, il nous a fait gagner la présidence, les militants sont fans de lui mais ces dernières années, il a pris ses distances. Il n’a pas aidé au rassemblement de notre famille. Il nous a un peu montés les uns contre les autres. Avec la candidature de Valérie PÉCRESSE, son soutien était attendu. Puis, plus tard, intervenir dans la campagne législative de Marine BRENIER [NDLR : l’ancien président avait publié une vidéo dans laquelle il affichait son soutien à la candidate majorité présidentielle dans la 5e circonscription durant la dernière campagne législative] était assez incompréhensible. Il fallait peut-être ça aux militants pour accepter de couper le cordon.
Est-ce que Les Républicains ont encore un rôle a joué sur le plan national ?
Le mandat précédent a été frustrant pour la droite. Nous avions perdu la présidentielle et le groupe majoritaire à l’Assemblée était venu avec une conception du monde d’avant qui était horrible. Et le président qui a enjambé le parlement en décidant tout seul. Là, nous entrons dans une période qui va être intéressante. La majorité n’est pas absolue mais relative. Il y a un vrai rôle à jouer pour Les Républicains. Nous devons pousser au maximum nos projets et nos propositions. L’Assemblée ne pourra pas fonctionner sans alliance. Cela passe par un travail qui devra tenir compte des oppositions. Nous allons voir comment la majorité va opérer, elle va donner le rythme
Je ne crois pas au discours qui clame que le parti s'est « droitisé ». On n'a pas changé ! |
La majorité pourrait tenter une alliance avec LR ?
Nous n’avons pas apprécié le débauchage de 2017. J’ai eu des retours de quelques collègues, de Droite comme de Gauche, il y a eu des tentatives d’approches mais il y a un décalage assez important. Ils vont être obligés de dialoguer. Si on arrive à pousser nos idées et qu’on les retrouve dans les textes, nous les voterons.
Beaucoup disent que le groupe LR a changé. Vous êtes d’accord ?
Non, je ne crois pas au discours qui clame que le parti s’est “droitisé”. On n’a pas changé, il y a toujours eu des sensibilités différentes. Déjà du temps du RPR, il y avait la tendance SEGUIN et la tendance PASQUA. Moi je viens de la famille libérale mais je suis très à cheval sur le régalien. Ceux qui sont partis se sont donné bonne conscience en se disant que le parti avait changé. En réalité, certains avaient peur de se retrouver dans l’opposition et sont partis à la première occasion. Il y avait un côté sécurisant à se tourner vers Macron. L’intérêt de ce mandat est de reconstruire notre famille. Il est vrai que nous n’avons pas trouvé la personnalité qui pourra nous faire gagner l’élection de 2027.
Des noms circulent ?
Il y a certains profils comme celui de Laurent WAUQUIEZ ou Xavier BERTRAND. Mais avant de se jeter dans les bras des uns ou des autres, il est nécessaire de recréer les bases. Nous sortons de deux échecs. Le prochain candidat ne devra pas être aux prises avec des rivalités internes. Il devra être le chef naturel de notre parti.
David LISNARD est une personnalité montante du parti…
Il faudra voir s’il souhaite s’engager pour la présidentielle mais avant cela il aura plusieurs étapes à passer. Je pense que la présidence de l’association des maires de France est une très bonne école. Il va pouvoir avoir connaissance des problématiques de nombreuses villes de France. En ce qui me concerne, je sais que j’ai beaucoup appris en étant au contact des plus petites communes. On comprend mieux les attentes de certains territoires.
La boite à souvenir
Votre meilleur souvenir à l’Assemblée ?
J’ai beaucoup travaillé sur l’adoption. J’ai souvenir d’un dossier en particulier. Cela remonte à presque 20 ans, à une époque où Renaud MUSELIER était secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Il y avait eu un blocage des adoptions à l’étranger. La France avait mis en place un moratoire pour des raisons techniques.
Or, un couple devait aller chercher des enfants au Cambodge et s’est vu refuser cette autorisation par la France. J’ai été contacté et j’ai pu expliquer aux services de l’État la situation. C’était au mois de décembre, tout près de Noël. J’ai pu accompagner les parents sur place. C’était un beau moment pour moi, il y avait un côté magique la veille de Noël, de voir cette famille se réunir.
Plus récemment, l’intervention du président ukrainien, Volodymyr ZELENSKY, à l’Assemblée était très marquante. Ce sont des moments forts de la démocratie où on arrive à dépasser les clivages politiques. On se sent privilégié d’être témoin de cela.