À la veille (ndlr : le 24 août 2022) de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, la Députée LR des Alpes-Maritimes Michèle TABAROT, dont l’histoire familiale est intimement liée à ce pays, nous livre son sentiment sur les relations franco-algériennes.
L’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, a récemment expliqué à l’AFP ne pas saisir l’intérêt d’une telle visite : « Il n’y a pas de changement récent dans les relations avec l’Algérie. Il faudrait quand même qu’il y ait des gestes d’Alger sur un certain nombre de nos demandes que sont les laissez-passer consulaires, les affaires économiques », a-t-il fait observer. Partagez-vous son point de vue ?
Il a tout à fait raison. Le pouvoir algérien nous a mis au défi ces dernières années sur un certain nombre de sujets. Faut-il rappeler le refus de reprendre ses ressortissants délinquants, l’interdiction de survol du territoire algérien pour nos armées ou encore les appels à influer sur la présidentielle française lancés par l’ambassadeur d’Algérie ?
Nous attendons toujours des gestes mémoriels qui sont la contrepartie légitime de ceux qu’Emmanuel Macron a décidés seul. La réponse du Président Tebboune c’est d’annoncer un travail de mémoire sur la colonisation avec Benjamin Stora. On imagine malheureusement trop bien ce que cela pourrait donner vu le parti pris de ce Monsieur.
Dernièrement, les tensions diplomatiques entre les deux pays ont porté sur le refus de l’Algérie de reprendre ses ressortissants illégaux vivant en France. Le chef de l’État a-t-il une marge de manœuvre sur le sujet ?
Je ne sais même pas s’il évoquera le sujet et c’est bien dommage parce que c’est une question absolument majeure. Le Ministre de l’Intérieur en parle beaucoup mais les résultats ne sont pas là. L’Algérie refuse de récupérer ses ressortissants. C’est pourtant sa responsabilité dès lors qu’ils ne sont plus les bienvenus en France. J’espère que cette fois le Chef de l’État aura le courage de le dire.
Il faut aussi remettre sur la table la question de l’accord de 1968 entre la France et l’Algérie sur l’immigration. Si l’Algérie ne prend pas ses responsabilités, il faudra le réformer ou poser la question de son annulation.
Après avoir qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » en 2017, Emmanuel Macron a expliqué en septembre 2021 que « la nation algérienne [s’était] construite sur une rente mémorielle ». Cette version mémorielle du « en même temps » est-elle de nature à apaiser les tensions entre les deux pays ?
Emmanuel Macron va en Algérie avec la volonté affichée d’apaiser les tensions et de relancer la relation économique. Je ne crois donc pas qu’il prendra le risque d’avoir le moindre mot qui pourrait déplaire à son hôte.
En fait, je crains bien plus de nouvelles déclarations fracassantes du Chef de l’État contre les Pieds Noirs et les Harkis... Il nous a malheureusement habitués aux attaques contre la France depuis l’étranger pour plaire à son auditoire.
Ce « travail d’apaisement des mémoires », selon la formule élyséenne, ne risque-t-il pas d’emprunter les voies de la repentance ?
De nouvelles attaques contre notre mémoire, c’est évidemment ce que nous craignons le plus. C’est déjà depuis Alger, après avoir fleuri le monument aux morts du FLN qui était l’ennemi de la France, qu’Emmanuel Macron avait assimilé les Pieds Noirs à des criminels contre l’humanité. Nous attendons d’ailleurs toujours des excuses officielles pour ces propos qui ont profondément blessé toute une communauté.
Depuis des décennies le pouvoir algérien entretient la détestation de la France et cela infuse forcément dans une partie de la jeunesse… |
Le pouvoir algérien se construit depuis toujours sur la haine de la France et c’est bien le seul point sur lequel Emmanuel Macron a eu un moment de clairvoyance sur la relation franco-algérienne quand il a parlé de la rente mémorielle.
L’Algérie semble rechercher aujourd’hui des alliés et des soutiens face aux tensions régionales. J’espère que l’état d’esprit sera constructif et que l’on n’assistera pas à un nouvel épisode de repentance où le Chef de l’État sacrifierait encore la mémoire des Pieds Noirs et des Harkis sur l’autel des intérêts économiques de la France.
À l’approche de cette visite, une douzaine d’organisations de la diaspora algérienne ont adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron. Elles exhortent le chef de l’État français à « ne pas occulter » la question des droits humains en Algérie. Le président est-il en position d’interpeller le gouvernement algérien sur ce point ?
Il en a eu l’occasion par le passé et ne l’a jamais véritablement fait. Le pouvoir algérien est autoritaire. Il est question de milliers d’arrestations arbitraires pour réprimer les manifestations et d’atteintes à la liberté d’opinion. L’appel a été lancé, nous verrons bien si Emmanuel Macron s’en fera l’écho.
Emmanuel Macron prévoit de se rendre à Oran lors de ce déplacement. En cette année où l’Algérie célèbre le 60ème anniversaire de son indépendance, pensez-vous que le chef de l’État abordera la mémoire du massacre d’Oran, cette tuerie de masse de Français le 5 juillet 1962 ?
Le 26 janvier dernier, le Chef de l’État a appelé à reconnaitre le massacre d’Oran qui a coûté la vie à des centaines d’Européens et de Harkis que l’armée française a été obligée, sur ordre, d’abandonner à leur sort.
Soixante ans après le massacre d'Oran, ceux qui ont perdu un proche dans cette tragédie ce jour-là sont toujours en quête de vérité… |
C’est une tâche sombre de l’histoire de France et nous attendons du Chef de l’État qu’il ait un geste fort à l’occasion de son déplacement pour joindre la parole aux actes.
Depuis 60 ans, ceux qui ont perdu un proche dans cette tragédie sont en quête de vérité. Nous espérons qu’Emmanuel Macron pourra faire en sorte que de nouveaux éléments apparaissent et viennent éclairer cette période douloureuse.
Plus généralement, comment la France est-elle perçue par le pouvoir algérien ? Comment envisagez-vous l’évolution des relations entre les deux pays dans les prochaines années ?
Depuis des décennies le pouvoir algérien entretient la détestation de la France et cela infuse forcément dans une partie de la jeunesse en Algérie mais aussi en France pour une partie des descendants d’immigrés.
Tout cela est cultivé par l’Algérie mais aussi par les gouvernements français qui n’ont pas voulu s’attaquer à ce problème en assumant nos valeurs et notre histoire pour réussir leur intégration.
La France n’a jamais fait œuvre de vérité sur la présence française outre-mer en montrant aussi ses apports.
Je plaide évidemment pour une relation apaisée qui passe par un vrai travail de fond sur l’histoire de la colonisation dans toutes ses dimensions et pas seulement dans le repentir.
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Entretien par Gaspard DE MALHERBE (Publié le 24 août 2022 à 18h23)
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